Mise à jour 6 février 2025

Vol de tableaux :
29 mars 2023 – Cour de cassation – Pourvoi n° 22-83.458 – Chambre criminelle – Formation de section

L’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression. Il appartient au juge, lorsqu’est invoquée une telle atteinte, de vérifier le caractère proportionné de la condamnation, au terme d’un examen d’ensemble qui doit prendre en compte notamment les circonstances de fait et la gravité du dommage et du trouble éventuellement causé. Au cas de poursuites pour vol, la valeur matérielle et symbolique du bien, le caractère réversible ou irréversible du dommage, doivent être pris en compte. Justifie sa décision la cour d’appel, qui, procédant au contrôle de proportionnalité requis, retient que l’incrimination pénale des faits poursuivis sous la qualification de vol constitue, au cas d’espèce, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
Refus de prélèvements biologiques ou de relevé signalétique des articles 706-56 et 55-1 du code de procédure pénale :

33.La Cour rappelle que le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d’un individu constitue une ingérence au sens de l’article 8 (Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A no 116). Peu importe que les informations mémorisées soient ou non utilisées par la suite (Amann c. Suisse [GC], no27798/95, § 69, CEDH 2000-II). Quant aux profils ADN, ils contiennent une quantité importante de données à caractère personnel uniques (S. et Marper, précité, § 75).

Crim. 22 sept. 2021, n° 20-80.489

15. Pour relaxer les prévenus du chef de refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par une personne soupçonnée d’infraction entraînant l’inscription au FNAEG, l’arrêt attaqué relève tout d’abord que les dispositions des articles 706-54 à 706-56, R. 53-9 et suivants du code de procédure pénale, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, leur réservaient, y compris pendant les poursuites concernant l’infraction dont ils étaient soupçonnés, la possibilité concrète, effective et certaine de solliciter, y compris devant un juge judiciaire, l’effacement des données enregistrées, dont, par ailleurs, la durée de conservation n’était ni infinie ni excessive au regard des infractions considérées et de l’objectif poursuivi par l’autorité publique de prévenir les infractions les plus graves.

16. Les juges concluent sur ce point que le grief de l’inconventionnalité des textes susvisés n’est pas encouru.

17. La cour relève ensuite qu’il lui appartient d’exercer également un contrôle de proportionnalité, sollicité par les prévenus à titre subsidiaire.

18. Les juges énoncent que l’infraction a été commise dans un contexte non crapuleux mais dans celui d’une action politique et militante, entreprise dans un but d’intérêt général.

19. Ils retiennent une disproportion entre, d’une part, la faible gravité objective et relative du délit dont les intéressés étaient soupçonnés au moment de leur refus de se soumettre au prélèvement litigieux et, d’autre part, l’atteinte au respect de la vie privée consécutive à l’enregistrement au FNAEG, même sous les garanties relevées plus haut, des résultats des analyses des échantillons biologiques prélevés.

20. En prononçant ainsi, la cour d’appel a pu, sans se contredire, énoncer, d’une part, que les articles 706-54 à 706-56, R.53-9 et suivants du code de procédure pénale, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits, n’étaient pas contraires en eux-mêmes à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et retenir, d’autre part, dans le cadre de l’exercice de son contrôle de proportionnalité, une disproportion entre les faits reprochés aux prévenus et l’atteinte au respect de leur vie privée résultant de l’enregistrement de leur empreinte génétique au FNAEG.

Escroquerie commise par un journaliste infiltré dans un parti politique :
 les agissements dénoncés se sont inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse, destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique, de sorte que, eu égard au rôle des journalistes dans une société démocratique et compte tenu de la nature des agissements en cause, leur incrimination constituerait, en l’espèce, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression

Exhibition sexuelle et dégradation :
26 février 2020, Cour de cassation, Pourvoi n° 19-81.827, Chambre criminelle – Formation de section

il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.

Atteinte à la dignité humaine :
Assemblée plénière – pourvoi n° 21-20.723

8.La liberté d’expression englobe la liberté d’expression artistique, qui constitue une valeur en soi
(CEDH, décision du 11 mars 2014, Jelsevar c. Slovénie, n° 47318/07, § 33) et qui protège ceux qui
créent, interprètent, diffusent ou exposent une oeuvre d’art (CEDH, arrêt du 3 mai 2007, Ulusoy e.a.
c. Turquie, n° 34797/02, § 42).
9. Toutefois, l’article 10, paragraphe 2, de la Convention prévoit que la liberté d’expression peut être
soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des
mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la
protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations
confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
10. Il en résulte que toute restriction à la liberté d’expression suppose, d’une part, qu’elle soit
prévue par la loi, d’autre part, qu’elle poursuive un des buts légitimes ainsi énumérés.
11. Si l’essence de la Convention est le respect de la dignité et de la liberté humaines (CEDH, arrêt du
22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), la dignité humaine ne figure pas, en
tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention.
12. La Cour de cassation en a déduit que la dignité de la personne humaine ne saurait être érigée en
fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi
n° 17-86.605, publié).
13. Au surplus, l’article 16 du code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect
du corps humain et invoqué par la requérante, ne constitue pas à lui seul une loi, au sens de l’article
10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d’expression.

Manifestations

8 janvier 2025, Cour de cassation,Pourvoi n° 23-80.226, Chambre criminelle – Formation de section – Publié au Bulletin – Publié au Rapport

11. Ainsi que le juge la Cour de cassation, l’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause (Crim., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-83.774, Bull. crim. 2016, n° 278 ; Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-81.827, publié au Bulletin ;
Crim., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-85.434, publié au Bulletin ;
Crim., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-86.685, publié au Bulletin).

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15. En revanche, lorsque des manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d’autrui, ces perturbations, lorsque leur ampleur dépasse celles qu’implique l’exercice normal de la liberté de réunion pacifique, peuvent être considérées comme des « actes répréhensibles » au sens de la jurisprudence de la Cour et pareil comportement peut donc justifier l’imposition de sanctions, y compris de nature pénale (arrêt Kudrevicius et autres c. Lituanie, précité, § 173).

Dénonciation calomnieuse

8 janvier 2025 Cour de cassation Pourvoi n° 23-84.535 Chambre criminelle – Formation de section Publié au Bulletin – Publié au Rapport

16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que suggérer qu’une personne a commis une infraction pour laquelle il n’a pas été condamné est de nature à affecter la réputation de ce dernier, laquelle relève de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne [GC], n° 39954/08).

17. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits (Ass. plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié au Bulletin).

18. L’article 226-10 du code pénal réprime la dénonciation mensongère, en connaissance de cause, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions, adressée notamment à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente.

19. Cette disposition, qui incrimine la substance de propos, constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, justifiée par la nécessité d’assurer la protection de la réputation d’autrui (CEDH, 26 mars 2020, affaire Tête c. France, requête n° 59636/16), de sorte qu’il ne peut plus être jugé, comme l’avait fait précédemment la Cour de cassation, que des faits de dénonciation calomnieuse ne sauraient être justifiés par le droit d’informer le public défini par l’article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (Crim., 12 avril 2016, pourvoi n° 14-87.124).

20. La proportionnalité de cette ingérence doit être appréciée en prenant en compte divers éléments, tels, notamment, dans le cas de la dénonciation calomnieuse, la nature et la forme des propos poursuivis, le contexte de leur expression ou de leur diffusion, la gravité des accusations, ainsi que leurs conséquences pour les personnes visées.