La distinction entre diffamation et dénigrement en droit français est essentielle, tant pour la qualification juridique que pour les conséquences procédurales. Cette analyse approfondie, illustrée par des jurisprudences pertinentes, vise à éclairer les nuances entre ces deux notions.
I. Définitions et fondements juridiques
A. La diffamation
La diffamation est définie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme :
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. »
Elle constitue une infraction pénale. La diffamation peut être publique ou non publique, selon les circonstances de sa diffusion.
B. Le dénigrement
Le dénigrement, quant à lui, est une faute civile relevant de l’article 1240 du Code civil (anciennement article 1382). Il consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits ou services d’un tiers, souvent dans un contexte concurrentiel, sans nécessairement viser la personne elle-même.
II. Critères de distinction
A. Objet des propos
- Diffamation : vise une personne physique ou morale identifiée ou identifiable.
- Dénigrement : cible les produits, services ou prestations d’une entreprise, sans attaquer directement la personne.
B. Nature des propos
- Diffamation : allégation ou imputation d’un fait précis.
- Dénigrement : appréciation négative, critique, jugement de valeur.
C. Finalité des propos
- Diffamation : atteinte à l’honneur ou à la considération.
- Dénigrement : désorganisation du marché, détournement de clientèle.
III. Conséquences procédurales
Élément | Diffamation | Dénigrement |
---|---|---|
Fondement juridique | Loi du 29 juillet 1881 | Article 1240 du Code civil |
Nature | Infraction pénale | Faute civile (concurrence déloyale) |
Prescription | 3 mois (1 an pour diffamation discriminatoire) | 5 ans |
Tribunal compétent | Tribunal judiciaire | Tribunal de commerce (en cas de concurrence) |
Procédure | Formalisme strict (article 53 de la loi de 1881) | Procédure civile ordinaire |
IV. Jurisprudence illustrative
A. Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 juin 2011, n° 10-17.369
Dans cette affaire, la société Sagelec a assigné la société Michel Plante Systèmes pour dénigrement et diffamation. La Cour de cassation a rappelé que les imputations portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale ne peuvent être poursuivies que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle a ainsi requalifié les faits en diffamation, rendant la procédure engagée sur le fondement de la responsabilité civile irrecevable.(Légifrance)
Source : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 juin 2011, n° 10-17.369
B. Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 mai 2006, n° 05-16.437
L’association Unijus a assigné la société Culina Culigel et l’association UFC Que-Choisir pour dénigrement, suite à la publication d’un article critiquant les jus d’orange 100% pur jus. La Cour de cassation a jugé que les propos visaient les produits et non les producteurs, caractérisant ainsi un dénigrement et non une diffamation.(Légifrance)
Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 mai 2006, n° 05-16.437
C. Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 avril 2004, n° 02-17.588
La société Laboratoires Vitarmonyl a assigné la société Presse Publications France pour un article critiquant son produit « Mémoire concentration ». La Cour de cassation a considéré que l’article portait sur le produit et non sur la société elle-même, qualifiant les propos de dénigrement.(Légifrance)
Source : Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 avril 2004, n° 02-17.588
V. Hésitations jurisprudentielles et requalifications
Il arrive que des propos soient initialement qualifiés de dénigrement, mais requalifiés en diffamation par les tribunaux. La Cour de cassation a rappelé que les imputations portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale ne peuvent être poursuivies que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, une action engagée sur le fondement de la responsabilité civile peut être déclarée irrecevable si les faits relèvent en réalité de la diffamation.
VI. Points d’attention
- Tentatives de contournement : Certaines parties tentent de qualifier des propos diffamatoires en dénigrement pour bénéficier d’une prescription plus longue et d’une procédure moins contraignante. Cependant, les tribunaux veillent à requalifier correctement les faits pour éviter de telles manœuvres.
- Concurrence directe non requise : La Cour de cassation a précisé que le dénigrement peut être retenu même en l’absence de concurrence directe, dès lors que les propos jettent le discrédit sur les produits ou services d’un tiers.
Sources consultées le 15 mai 2025 :
- Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : Légifrance
- Article 1240 du Code civil : Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 juin 2011, n° 10-17.369 : Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 30 mai 2006, n° 05-16.437 : Légifrance
- Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 8 avril 2004, n° 02-17.588 : Légifrance(Légifrance, Légifrance, Légifrance)