La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024, dite « loi SREN » (visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique), a instauré plusieurs mesures importantes destinées à renforcer la responsabilisation des usagers sur internet et à lutter plus efficacement contre les abus dans l’espace numérique. L’une des innovations notables de ce texte est l’introduction d’une peine complémentaire de bannissement numérique, prévue à l’article 16 de la loi et codifiée à l’article 131-35-1 du Code pénal. Cette peine peut, sous certaines conditions, être prononcée à l’encontre des auteurs de certains délits commis en ligne, notamment en cas de diffamation ou d’injure à caractère discriminatoire.
Ce dispositif s’inscrit dans une logique de dématérialisation du droit pénal et de renforcement de l’effectivité des sanctions dans l’univers numérique. Il vise à entraver la réitération des infractions sur les réseaux sociaux et les plateformes, en déconnectant temporairement les délinquants de leurs vecteurs de diffusion. Toutefois, son application reste encadrée et limitée à des infractions spécifiquement désignées par la loi, dans le respect des principes fondamentaux du droit pénal.
1. Genèse et objectifs de la peine de bannissement numérique
La peine de bannissement numérique trouve son origine dans une volonté politique de lutter plus efficacement contre les comportements délictueux en ligne, qui se sont multipliés avec l’essor des plateformes de communication numérique. Jusqu’à la loi SREN, le droit pénal français ne prévoyait pas de sanction spécifique permettant de restreindre l’accès aux comptes ou services numériques utilisés pour commettre des infractions.
L’article 16 de la loi SREN, introduit dans le Code pénal un nouvel article 131-35-1, qui dispose qu’en cas de condamnation pour certains délits commis au moyen ou par l’intermédiaire d’un service de plateforme en ligne, le tribunal peut prononcer, à titre de peine complémentaire, l’interdiction d’utiliser ce service pendant une durée qui ne peut excéder six mois (ou un an en cas de récidive).
Cette mesure vise à assainir l’espace numérique, protéger les victimes, dissuader la réitération des infractions, et renforcer l’efficacité de la répression des abus verbaux ou comportementaux commis en ligne.
2. Portée juridique de l’article 131-35-1 du Code pénal
L’article 131-35-1 du Code pénal dispose :
Lorsqu’une infraction est commise au moyen ou par l’intermédiaire d’un service de plateforme en ligne, la juridiction peut interdire à la personne condamnée, à titre de peine complémentaire, pour une durée qui ne peut excéder six mois ou, en cas de récidive, un an, d’utiliser ce service. Elle peut également interdire la création de nouveaux comptes permettant l’accès au même service. »
La peine peut être prononcée soit de manière autonome, soit en complément d’une autre peine. Elle vise exclusivement l’utilisation de plateformes en ligne, c’est-à-dire des services qui permettent de mettre en relation plusieurs utilisateurs ou de diffuser des contenus, au sens de l’article L. 111-7 du Code de la consommation.
Il s’agit d’une peine temporaire, proportionnée et ciblée, qui ne prive pas l’individu d’accès à l’ensemble d’internet, mais uniquement aux services spécifiques ayant servi à la commission de l’infraction.
3. Modalités d’application pratique de la peine
La peine de bannissement numérique suppose que la plateforme concernée soit clairement identifiée. Une fois la décision judiciaire rendue, le délinquant est interdit d’utiliser ses comptes existants sur la plateforme visée, et de créer de nouveaux comptes permettant d’accéder à ce même service.
Les opérateurs de plateformes ont l’obligation de suspendre les comptes visés. En cas de non-respect de cette obligation, ils s’exposent à une amende pouvant atteindre 75 000 euros.
Le non-respect, par le condamné, de la peine de bannissement est assimilé à un délit, réprimé par l’article 434-41 du Code pénal, qui prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
4. Infractions concernées par la peine de bannissement numérique
La peine de bannissement numérique ne s’applique pas à l’ensemble des infractions commises en ligne. Elle est réservée à une liste limitative d’infractions définies par la loi. Parmi ces infractions, on retrouve notamment :
L’injure publique à caractère raciste, sexiste ou discriminatoire (article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) ;
La diffamation publique à caractère discriminatoire (article 32 de la même loi) ;
Le harcèlement moral ou sexuel ;
La provocation à la haine ou à la violence ;
La diffusion d’images ou de propos violents ou pornographiques à des mineurs.
Ainsi, la simple diffamation ou injure publique, non motivée par une discrimination prohibée, ne permet pas le recours à la peine de bannissement numérique. Cette limitation vise à concilier la protection de l’ordre public numérique avec la sauvegarde de la liberté d’expression.
5. Spécificités des délits de diffamation à caractère discriminatoire
Les infractions de diffamation prévues par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sont susceptibles de revêtre un caractère discriminatoire lorsqu’elles visent une personne ou un groupe en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race, une religion déterminée, leur sexe, leur orientation sexuelle, leur handicap ou leur identité de genre.
Lorsque ce caractère aggravant est présent, la peine encourue est portée à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette qualification ouvre alors la possibilité pour la juridiction saisie de prononcer également la peine complémentaire de bannissement numérique.
Il appartient au tribunal de motiver spécialement sa décision, en démontrant que l’infraction a bien été commise via un service de plateforme en ligne, et que la peine est nécessaire, proportionnée et appropriée au regard des faits.
6. Encadrement juridique et garanties pour les droits de la défense
Le prononcé de la peine de bannissement numérique ne peut se faire que dans le cadre d’une procédure contradictoire respectant les droits de la défense. Le prévenu peut contester la mesure, faire valoir son absence d’intention discriminatoire, ou contester le caractère public de l’infraction.
De plus, la mesure est limitée dans le temps (6 mois ou 1 an), ne vise qu’un service précis et identifiable, et ne peut être exécutée qu’après l’expiration des voies de recours ou à l’issue d’un jugement exécutoire. L’interdiction de création de nouveaux comptes n’est pas illimitée et doit rester proportionnée aux besoins de la répression.
7. Place dans l’arsenal répressif numérique
La peine de bannissement numérique introduit un outil nouveau dans le champ de la répression des délits commis en ligne. Elle s’ajoute aux peines classiques d’amende, d’emprisonnement ou d’affichage, et participe à la diversification des sanctions adaptées au contexte technologique actuel.
Elle constitue une réponse graduée, ciblée, et proportionnée aux abus sur les plateformes, tout en préservant la liberté d’expression et les droits fondamentaux. Elle suppose toutefois une bonne coopération des plateformes, un suivi judiciaire rigoureux, et une formation des magistrats à ces nouveaux outils juridiques.
Enfin, cette peine complémentaire devra être articulée avec les autres dispositifs de droit commun, comme les injonctions de retrait de contenu, les déférencements, ou les mesures de protection des victimes.