Le phénomène des fausses informations — communément désignées par l’anglicisme « fake news » — constitue l’un des principaux défis du droit de l’information à l’ère numérique. Dans un contexte marqué par l’instantanéité des échanges, l’horizontalité de la diffusion et l’opacité des mécanismes algorithmiques, les États cherchent à établir un équilibre délicat entre liberté d’expression, intégrité du débat démocratique et protection de l’ordre public.

La France s’est dotée, notamment depuis 2018, d’un dispositif juridique spécifique pour lutter contre la diffusion volontaire, massive et trompeuse d’informations en période électorale. Cet article propose une analyse détaillée de ce cadre normatif, de ses limites, des conditions de sa mise en œuvre et des perspectives d’adaptation aux évolutions des modes de communication.


I. Définition juridique des fausses informations

A. De la « fausse nouvelle » à la fake news

Historiquement, l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse posait déjà les bases d’une répression des fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public. L’apparition des fake news en ligne a conduit le législateur à créer des dispositifs plus ciblés, en particulier à l’occasion de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Cette dernière insère à l’article L. 163-2 du code électoral une définition stricte : constitue une fake news toute allégation ou imputation inexacte ou trompeuse d’un fait, de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir, diffusée de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive, par un service de communication au public en ligne.

B. Distinction avec d’autres infractions de presse

Contrairement à la diffamation, à l’injure ou à la dénonciation calomnieuse, la fausse nouvelle n’a pas nécessairement pour objet une personne déterminée. Elle vise davantage l’altération de l’opinion publique dans un objectif de manipulation, souvent politique, parfois économique, et est à distinguer de la diffamation dans un contexte électoral.

C. Exclusions : opinions, satire et caricature

Les opinions, exagérations, satires ou parodies ne relèvent pas du champ d’application de ces dispositions. Le Conseil constitutionnel a précisé que seules les allégations dont le caractère inexact ou trompeur est « manifeste » peuvent justifier des mesures restrictives.


II. Fondements juridiques applicables

A. Textes généraux

  • Loi du 29 juillet 1881 : L’article 27 sanctionne la diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, mais son usage reste marginal dans la pratique judiciaire.
  • Code monétaire et financier : L’article L. 465-3-2 réprime la diffusion d’informations fausses ou trompeuses susceptibles d’influencer les marchés financiers.

B. Dispositions électorales spécifiques

  • Article L. 97 du code électoral : Réprime l’usage de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou manœuvres frauduleuses pour détourner ou surprendre les suffrages.
  • Article L. 163-2 du code électoral : Prévoit une action en référé durant les trois mois précédant une élection nationale. Le juge peut ordonner des mesures nécessaires pour faire cesser la diffusion de contenus visés par la disposition.

Ce dispositif n’est applicable ni aux scrutins locaux ni aux périodes hors campagne électorale.


III. Procédure de référé contre les fake news

A. Saisine du juge

La demande peut être formée par :

  • un candidat,
  • un parti ou groupement politique,
  • le ministère public,
  • toute personne ayant intérêt à agir.

Le juge des référés est tenu de statuer dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine.

B. Nature des mesures

Le juge peut prescrire toute mesure proportionnée visant à faire cesser la diffusion. Il statue en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant recevable.


IV. Conditions strictes de mise en œuvre

A. Trois critères cumulatifs

  1. Fait inexact ou trompeur de nature à altérer la sincérité du scrutin.
  2. Diffusion massive, délibérée, artificielle ou automatisée.
  3. Usage d’un service de communication au public en ligne.

B. Appréciation du caractère « manifeste »

Le Conseil constitutionnel a précisé que le caractère inexact ou trompeur, ainsi que le risque d’altération du scrutin, doivent être manifestes. Cette exigence vise à préserver la liberté d’expression contre des restrictions excessives.


V. Obligations des opérateurs de plateformes

A. Transparence et registre public

Les plateformes dépassant un seuil de 5 millions de visiteurs uniques mensuels doivent :

  • identifier clairement les auteurs de contenus sponsorisés liés au débat public ;
  • indiquer le montant des rémunérations versées pour leur promotion ;
  • rendre ces informations accessibles dans un registre en ligne.

B. Dispositif de signalement et coopération avec les autorités

Les opérateurs doivent permettre aux utilisateurs de signaler facilement les contenus suspects et coopérer avec l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), qui assure le suivi du dispositif.

C. Rôle dans l’éducation aux médias

Les plateformes sont incitées à sensibiliser les usagers, notamment les jeunes, à la désinformation. Cela inclut le soutien à des initiatives éducatives, la diffusion de guides ou vidéos, et la coopération avec le monde académique.


VI. Limites et critiques du dispositif actuel

A. Restriction temporelle et matérielle

Le dispositif ne s’applique que :

  • durant les périodes électorales nationales ;
  • aux contenus diffusés en ligne ;
  • sous forme massive et automatisée.

Cette limitation exclut des formes de désinformation pourtant virales mais qui n’entrent pas dans le champ des critères cumulatifs requis.

B. Problèmes d’efficacité

Les contraintes techniques et la rapidité de propagation de certaines fake news rendent leur retrait difficile. De plus, l’absence de caractère automatique des sanctions empêche une action suffisamment réactive.

C. Liberté d’expression et contrôle juridictionnel

Toute mesure doit respecter le principe de proportionnalité. Le juge ne peut ordonner le retrait d’un contenu qu’en présence d’un trouble manifeste et d’un risque réel pour le scrutin. Cela limite le champ des interventions.


VII. Perspectives d’évolution

A. Régulation européenne

L’Union européenne a mis en place un cadre reposant sur :

  • un code de bonnes pratiques entre plateformes et autorités ;
  • un réseau de vérificateurs de faits ;
  • la promotion d’outils de transparence dans la publicité politique.

B. Recommandations nationales

Plusieurs travaux ont proposé d’aller au-delà des mécanismes actuels, notamment :

  • en renforçant la responsabilité civile des auteurs ou relais de fake news diffusées de mauvaise foi ;
  • en introduisant des mécanismes de réparation proportionnés à la viralité des contenus.

VIII. Illustrations jurisprudentielles

En mai 2019, le juge des référés de Paris a refusé de faire droit à une demande de retrait d’un message diffusé par un ministre en période pré-électorale, au motif que les conditions de l’article L. 163-2 n’étaient pas remplies : absence de diffusion massive, de caractère trompeur manifeste, et débat public maintenu.


IX. Tableaux synthétiques

A. Principaux textes

TexteObjetPortéeSanctions / Mesures
Loi du 29 juillet 1881, art. 27Paix publiquePresse, médiasAmende, emprisonnement
Code électoral, art. L. 97Sincérité du voteTous scrutinsAmende, prison
Code électoral, art. L. 163-2Fausses nouvelles électoralesScrutins nationauxRéféré, retrait immédiat
Code monétaire et financierFausses informations boursièresMarchés financiersAmende, sanctions administratives
Décret n° 2019-297Obligations des plateformes>5M utilisateurs mensuelsTransparence, registre