Le contentieux de l’innovation : une matière devenue instable et stratégique
À l’ère des contenus générés par IA, des plateformes numériques et des contrats technologiques, les entreprises font face à une judiciarisation croissante de leurs activités immatérielles. L’avocat devient alors un stratège contentieux, conjuguant maîtrise des outils procéduraux et expertise en propriété intellectuelle, communication numérique et contrats internationaux.
Désinformation, IA, plateformes : de nouveaux terrains de conflits
Les atteintes à l’image et à la réputation
Critiques virales, dénigrement ou diffamation en ligne nécessitent des actions rapides. Le référé permet de faire cesser le trouble (article 835 du Code de procédure civile), de solliciter le retrait ou la publication judiciaire. La compétence des juridictions françaises est acquise dès lors que le contenu est accessible en France (Cass. 1re civ., 10 janv. 2019, n° 17-28.448).
Intelligence artificielle et données protégées
Lorsque des systèmes d’IA sont entraînés sur des données protégées, des actions en contrefaçon (articles L. 122-4 et L. 335-3 du CPI), en violation du RGPD ou du secret des affaires (L. 151-1 C. com.) peuvent être engagées. La première étape est l’identification des sources et des traitements via expertise ou référé probatoire (article 145 C. pr. civ.).
Procédure : vitesse, preuve, stratégie
Référés, saisies, injonctions
Le contentieux immatériel repose souvent sur des mesures provisoires : retrait de contenu, blocage d’un site, interdiction d’usage. Le référé permet d’agir sans attendre le fond dès lors que le trouble est manifeste. En propriété industrielle, la saisie-contrefaçon (L. 615-5 CPI) est un levier puissant pour cristalliser la preuve.
Vices de procédure et stratégie contentieuse
L’anticipation des nullités, des exceptions de procédure ou de la recevabilité des voies de recours fait partie des clés de succès. Exemple : l’absence de signature d’un acte par un huissier constitue un vice de forme ne pouvant prospérer sans démonstration d’un grief (Cass. 2e civ., 6 avr. 2023, n° 21-25.315).
Les contrats technologiques et internationaux : champs de bataille juridiques
Licences, savoir-faire, exploitation
Les litiges portent sur la bonne exécution de la licence, la territorialité, ou la durée d’exploitation. Il est essentiel d’encadrer la propriété des résultats, la réversibilité, et les exclusions d’usage (notamment pour les environnements web3 ou IA).
Clauses croisées et contrats en chaîne
Dans les réseaux de distribution ou de prestation technologique, la requalification contractuelle, la rupture d’équilibre ou la responsabilité d’un tiers rendent indispensable une lecture transversale des engagements. L’indépendance des contrats en chaîne est désormais consacrée (Cass. com., 10 févr. 2021, n° 19-15.155).
Juridiction et droit applicable
Les clauses attributives de compétence doivent être rédigées avec rigueur. Un libellé imprécis peut être déclaré inopposable, en particulier en cas de partie non professionnelle (article 48 C. pr. civ.). En international, la clause doit être conforme aux règlements Bruxelles I bis ou Rome I.
IP, procédures et conflits internationaux : une coordination cruciale
Juridiction unifiée du brevet (JUB)
La JUB est compétente pour les actions relatives aux brevets unitaires ou classiques si elle est saisie. Les stratégies contentieuses doivent intégrer le choix de division, la langue, la compétence subsidiaire nationale et le risque de double procédure.
Arbitrage, confidentialité et litiges technologiques
De nombreuses conventions technologiques ou de R&D prévoient l’arbitrage. La validité de la clause dépend de sa formulation précise. Une clause vague comme « tout litige sera arbitré » est susceptible de nullité (Cass. 1re civ., 3 mars 2021, n° 19-17.529).
Données, RGPD et secret des affaires
En cas de litige lié à une fuite de données ou à une extraction illicite, il est possible d’engager une action fondée sur le RGPD (articles 77 et suivants) ou le secret des affaires. Il convient de saisir la CNIL ou de solliciter des mesures provisoires devant le juge judiciaire (articles L. 151-1 et suivants C. com.).