Mis à jour le 9 janvier 2023
A l’heure où les institutions européennes s’interrogent sur la réglementation de l’intelligence artificielle (Artificial Intelligence Act), et à l’époque du partage de données et de l’innovation, quels droits peuvent être sollicités dans le cadre d’une contestation née de l’usage de l’intelligence artificielle ? ..quelques réflexions après colloque :
Les outputs
Une des questions qui est soulevée, d’ailleurs avec une particulière acuité outre-Atlantique où les syndicats sont en pleine discussion, est celle des droits des artistes-interprètes.
Par exemple, un producteur fait appel à une base de données qui comporte des données sur un artiste interprète (films, interviews..) puis à des logiciels d’IA qui restituent, après “deep learning”, un personnage fictif représentant l’artiste dans un film où pourtant l’artiste lui-même n’a pas tourné.
Thierry Ardisson l’a déjà tenté avec succès avec l’entreprise Mac Guff pour des artistes défunts Gabin et Dalida, pour la réalisation d’interviews biographiques, dans la série “Hotel du Temps”, et sans pourtant faire du “deep fake”.
En effet, si la technique s’apparente à celle du deep fake, l’objectif est bien différent, puisqu’il s’agit de restituer un témoignage vérifiable et non de pervertir la vérité, et avec avertissement à l’écran qu’il s’agit d’une reconstitution par IA.
Est-ce possible ? Quelles pourraient être les atteintes à la mémoire des défunts qui puissent donner prise à un recours ? Droit au respect de la vie privée, à la protection des données personnelles, droit à l’image, à la juste réputation…
Auteurs et artistes-interprètes, personnages divers, descendants, pourront faire valoir leurs droits (droit d’auteur, droit des artistes interprètes) sur ces créations automatiques.
Mais aussi toute personne s’estimant lésée, aussi bien contre le producteur (de vidéogramme) que contre les prestataires auxquels il a fait appel, développeurs de logiciels, producteurs de bases de données, etc…
Ce qui sort du logiciel d’IA (l’output), comment le qualifier ? Ce n’est à priori pas une œuvre réservable, puisqu’il n’y a pas d’auteur humain.
Mais cela peut se comparer à une œuvre collective produite sous la responsabilité d’une personne morale, d’un producteur, pouvant prétendre à la protection du droit d’auteur, sans que quiconque cherche ou ait le moyen de contester les droits dudit producteur ou le procédé d’élaboration de l’œuvre.
Les inputs
En amont, les auteurs, les artistes-interprètes, leurs ayant-droit, les sociétés de gestion collective, les producteurs de bases de données, les développeurs, auront des droits à faire valoir et à contractualiser dans la mesure où ce sont leurs prestations et leurs œuvres, leur image, qui sont sollicitées, et qui forment la matière (input / données) et les outils pour donner un résultat, l’output.
L’opt out et la fouille de données (data mining)
Sous réserve du respect du triple test et d’autres législations, le contenu accessible sur internet est fouillable par les IA, à moins de marquer ce contenu comme non exploitable, au moyen de méta-données et de conditions générales d’utilisation : c’est le système d’opt out, énoncé par les articles L122-5 et suivants, III du L122-5-3, R122-23 et suivants, R122-27, du code de la propriété intellectuelle, transposant la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information).
Le prompt
Le prompt est l’instruction donnée à l’IA qui produit la réponse, en combinant diverses étapes logicielles, des modèles de langage, de l’apprentissage de données.
Quel est l’auteur de ce prompt ? Un artiste ? Un développeur informaticien ? Une IA ? Une équipe ?
Faut-il protéger ce prompt ? N’est-ce pas un savoir-faire protégeable par le secret, par le contrat, par le droit à une concurrence loyale, voire par le droit d’auteur ou le brevet ? Débats à prévoir…
« L’amour en mars, dans les fleurs de pêcher »
Dans une décision rendue le 27 novembre 2023, un tribunal chinois a jugé que le contenu généré par l’IA pouvait bénéficier d’une protection en vertu de la loi sur le droit d’auteur, ouvrant ainsi la voie à unesubtil évaluation des contenus générés par l’IA.
« … Sur la base de l’image initialement générée, le demandeur a ajouté quelques mots d’invite, modifié les paramètres et a finalement obtenu l’image qu’il souhaitait. Depuis le moment où le demandeur a eu une idée sur l’image jusqu’à sa sélection finale de l’image en question, le demandeur a fait un certain investissement intellectuel, comme concevoir la présentation du personnage, sélectionner des mots d’invite, organiser l’ordre des mots d’invite, définir des paramètres, et en sélectionnant la photo qu’il voulait. L’image en question reflète l’investissement intellectuel du plaignant, elle répond donc à l’élément de « réalisation intellectuelle ».
https://english.bjinternetcourt.gov.cn/pdf/BeijingInternetCourtCivilJudgment112792023.pdf
« … les lignes et les couleurs qui constituent l’image impliquée sont essentiellement réalisées par le modèle de diffusion stable, ce qui est très différent de la manière conventionnelle dont les gens utilisent des pinceaux ou des logiciels pour dessiner des images. Cependant, le demandeur a utilisé des mots d’invite pour travailler sur les éléments de l’image tels que le personnage et la manière de le présenter, et a défini des paramètres pour travailler sur la mise en page et la composition de l’image, qui reflètent le choix et la disposition du demandeur. Le demandeur a saisi des mots d’invite et défini des paramètres et a obtenu la première image ; puis il a ajouté quelques mots d’invite, modifié les paramètres et finalement impliqué l’image. De tels ajustements et modifications reflètent également le choix esthétique et le jugement personnel du demandeur. Au cours du procès, le plaignant a généré différentes images en modifiant les mots d’invite ou les paramètres. On peut en déduire qu’avec ce modèle, différentes personnes peuvent générer différentes images en saisissant différents mots d’invite et en définissant différents paramètres. Il ne s’agit donc pas d’une « réussite intellectuelle mécanique ».