La protection pénale de la propriété intellectuelle (PI) constitue une composante essentielle du droit économique. Dans un contexte de dématérialisation des œuvres, de diffusion mondiale instantanée, et de multiplication des outils de création et de reproduction, la répression des atteintes à la PI prend une ampleur renouvelée. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI), enrichi par des dispositions pénales, s’articule avec le Code pénal et les régimes spéciaux européens pour encadrer et réprimer la contrefaçon, l’atteinte aux logiciels, ou l’usage frauduleux de marques, brevets ou modèles.

Cet article examine les principales qualifications pénales, la jurisprudence récente, les plateformes impliquées, et les stratégies à disposition des ayants droit ou des défenseurs.


I. La contrefaçon : infraction centrale du contentieux pénal de la PI

1. Fondement légal

La contrefaçon est punie par :

  • L’article L. 335-2 CPI pour le droit d’auteur,

  • L’article L. 716-10 pour les marques,

  • L’article L. 615-14 pour les brevets.

Les peines encourues vont jusqu’à :

  • 3 ans d’emprisonnement

  • 300 000 € d’amende

  • 5 ans et 500 000 € en cas de bande organisée

Le délit suppose trois éléments :

  • Un droit valable (titre en vigueur, originalité),

  • Une reproduction ou représentation non autorisée,

  • Un élément intentionnel (même implicite).

2. Étendue de la contrefaçon

La jurisprudence admet des formes très variées :

  • Copie servile d’un texte, d’une musique, d’un logiciel,

  • Reprise de l’univers graphique d’un jeu vidéo ou d’un site,

  • Usage d’un logiciel piraté dans un environnement professionnel,

  • Impression 3D d’un objet protégé par un brevet.


II. Les vecteurs numériques de diffusion : plateformes et réseaux

1. Plateformes de e-commerce

Les places de marché (Amazon, Cdiscount, Vinted, AliExpress) sont des vecteurs majeurs de contrefaçon :

  • Vente de vêtements contrefaits,

  • Offres de produits high-tech non autorisés,

  • Propositions frauduleuses de logiciels.

La responsabilité de ces plateformes est discutée : simple hébergeur ou éditeur de contenus ?

Jurisprudence :

  • TJ Paris, 2022, condamnation d’un vendeur Amazon pour contrefaçon de sacs Hermès.

  • CA Paris, 2023, Amazon jugé partiellement responsable pour avoir promu des produits en homepage.

2. Sites de streaming et de téléchargement

Les plateformes illicites (Zone-Téléchargement, YggTorrent, LibertyVF) sont régulièrement visées :

  • Blocages ordonnés par les juges (L. 336-2 CPI)

  • Actions pénales contre les administrateurs (complicité de contrefaçon)

3. Réseaux sociaux et messageries

Des contenus protégés circulent sur :

  • TikTok (reprise de musique, sketchs),

  • YouTube (diffusion intégrale de films),

  • Telegram (canaux privés de distribution illégale),

  • Discord (serveurs de logiciels crackés).


III. Stratégies procédurales : dépôt de plainte, constat, saisie-contrefaçon

1. Dépôt de plainte

Le plaignant peut :

  • Déposer une plainte simple au parquet,

  • Porter plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges,

  • Introduire une citation directe si les éléments sont suffisamment solides.

2. Constat d’huissier numérique

Indispensable pour prouver la matérialité de l’infraction. L’huissier doit :

  • Capturer l’ensemble de la page,

  • Identifier les URL, dates, éléments techniques (serveur, IP),

  • Vérifier le caractère public du contenu.

3. Saisie-contrefaçon

Mesure spécifique à la PI (L. 332-1 CPI), elle permet, avec l’autorisation d’un juge, de :

  • Saisir les marchandises litigieuses,

  • Accéder aux documents commerciaux,

  • Copier les disques durs ou serveurs.

Souvent utilisée en amont d’une action pénale ou civile.


IV. Jurisprudence pénale récente (2022–2024)

1. Musique et plateformes vidéo

  • TJ Paris, 2023 : condamnation d’un administrateur de chaîne YouTube pour avoir diffusé 200 clips protégés sans autorisation. Peine : 8 mois avec sursis, 20 000 € de dommages.

  • CA Lyon, 2022 : requalification d’un usage personnel en usage professionnel (cabinet d’architecture utilisant un logiciel piraté). Peine : amende + confiscation.

2. Marques et e-commerce

  • TJ Marseille, 2022 : vente de parfums contrefaits sur Vinted ; utilisateur condamné malgré la mention « inspiré par… ».

  • CA Versailles, 2023 : la plateforme tenue responsable pour défaut de retrait malgré notification.

3. Brevets et objets techniques

  • TJ Paris, 2022 : impression 3D de pièces de rechange protégées par brevet, condamnation pour contrefaçon industrielle.


V. Défense pénale : axes de contestation

1. Droit contestable

  • Absence d’originalité ou de nouveauté

  • Invalidité du dépôt

  • Caducité du brevet

2. Absence d’intention frauduleuse

  • Usage de bonne foi

  • Confusion involontaire

  • Absence d’avertissement clair

3. Exonération de responsabilité

  • Usage privé ou à titre de citation

  • Couverture par une licence (Creative Commons, GNU)

  • Preuve d’une autorisation implicite


VI. Sanctions et effets secondaires

1. Sanctions pénales

  • Peines de prison (rarement fermes)

  • Amendes

  • Confiscation du matériel

  • Publication judiciaire

2. Sanctions civiles (action parallèle)

  • Réparation du préjudice moral et patrimonial

  • Rappel des produits

  • Dommages-intérêts importants

3. Conséquences réputationnelles

  • Communiqués imposés

  • Déréférencement de contenus

  • Sanctions contractuelles (résiliation par partenaires)


VII. Rôle de l’avocat : conseil et contentieux

1. Pour l’auteur ou le titulaire de droits

  • Conseil en stratégie probatoire (constat, saisie)

  • Choix entre pénal et civil

  • Coordination avec douanes, police, ARCOM

2. Pour le mis en cause

  • Expertise technique sur le droit invoqué

  • Vérification des notifications reçues

  • Contestation de la compétence ou du caractère illicite

 

Voir aussi les stratégies relatives aux délits de presse