La diffusion de contenus à caractère sexuel par voie numérique constitue une réalité massive et banalisée dans l’espace public numérique. Or, cette activité est strictement encadrée par le Code pénal, notamment pour ce qui concerne :
L’exposition des mineurs à des contenus pornographiques,
La diffusion d’images sexuelles sans consentement (revenge porn),
La pédopornographie,
La provocation à la débauche,
Le cyberharcèlement sexuel.
La régulation est renforcée par l’action de l’ARCOM, autorité compétente pour ordonner des mesures de blocage ou de déréférencement des sites pornographiques qui ne respectent pas l’obligation de vérification d’âge. Cet article fait le point sur les fondements juridiques, les responsabilités des éditeurs et hébergeurs, la jurisprudence récente, et les pratiques recommandées en défense comme en poursuite.
I. Le fondement légal : Code pénal et lois spéciales
1. Diffusion de contenus pornographiques accessibles aux mineurs (article 227-24 CP)
Constitue une infraction le fait :
De diffuser un message à caractère pornographique,
De nature à être vu ou perçu par un mineur,
Quel que soit le moyen de communication.
Peines encourues :
3 ans d’emprisonnement,
75 000 € d’amende,
Peines aggravées si l’acte est commis en bande organisée ou à destination de mineurs.
L’infraction est constituée même sans volonté délibérée de viser un mineur : le défaut de vérification de l’âge est une faute suffisante.
2. Captation ou diffusion non consentie d’images à caractère sexuel (article 226-2-1 CP)
Il est interdit de :
Enregistrer l’image intime d’une personne sans son accord,
La diffuser ou partager sans consentement.
Typologie :
Revenge porn,
Partage dans des groupes privés (Telegram, Discord),
« Fuites » de contenus OnlyFans, plateformes privées.
Sanctions :
2 ans d’emprisonnement et 60 000 € d’amende,
Peines aggravées en cas de diffusion massive, de préméditation ou d’usage d’un faux compte.
II. La pédopornographie : infraction autonome
1. Détention, diffusion, consultation (article 227-23 CP)
Est interdit :
Le fait de détenir, diffuser, consulter ou produire une image ou une représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique,
Même sans contrepartie financière.
Sanctions :
5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende,
Jusqu’à 7 ans et 100 000 € en cas d’usage d’un réseau numérique.
2. Jurisprudence constante
La simple consultation réitérée peut suffire à caractériser l’infraction si elle est volontaire.
Le stockage en cache ou temporaire peut être retenu en cas de connaissance effective.
III. Rôle de l’ARCOM et procédure de blocage
1. Fondement juridique : loi du 24 août 2021
L’ARCOM, autorité née de la fusion du CSA et de la HADOPI, est compétente pour saisir le tribunal judiciaire de Paris si un site :
Diffuse des contenus pornographiques,
Sans mettre en œuvre une solution fiable de vérification de l’âge.
2. Procédures engagées
2023 : ordonnance de blocage contre cinq sites majeurs à la demande de l’ARCOM.
Mise en œuvre de mesures DNS et IP obligatoires par les fournisseurs d’accès.
Possibilité de référé pour accélérer la procédure.
3. Obligations des éditeurs et hébergeurs
Mettre en place un système de contrôle d’âge conforme (non contournable),
Retirer les contenus litigieux sur signalement,
Coopérer avec les autorités judiciaires et administratives.
IV. Plateformes et responsabilité pénale
1. Plateformes en cause
Sont régulièrement impliquées :
Sites spécialisés (YouPorn, xHamster, PornHub),
Réseaux sociaux (Twitter, Reddit),
Messageries cryptées (Telegram, Signal),
Espaces semi-privés (OnlyFans, Fansly, Discord).
2. Qualification pénale possible
Complicité passive par maintien d’un contenu signalé,
Recel d’une infraction si l’image est manifestement illicite,
Inexécution d’une décision judiciaire si refus de blocage ou retrait.
3. Jurisprudence récente
TJ Paris, ord. réf. 2023 : ordre de blocage prononcé contre un site refusant de mettre en place un système de vérification fiable de l’âge.
CA Versailles, 2022 : condamnation d’un hébergeur pour non-retrait d’images intimes malgré signalement circonstancié.
V. Stratégies de poursuite ou de défense
1. Enquête numérique
Géolocalisation des serveurs,
Réquisitions aux plateformes (logs, IP, adresse mail, historique de comptes),
Comparaison des empreintes numériques (hash cryptographiques).
2. Conseil en poursuite (victime ou autorité)
Constat d’huissier numérique : capture écran, vidéo avec date/heure
Saisine de la plateforme via signalement RGPD ou formulaire propre
Plainte avec constitution de partie civile au parquet ou devant le doyen
3. Conseil en défense (éditeur, influenceur, hébergeur)
Vérification de l’origine des contenus (auteurs, mentions, pseudonymes),
Mise en place d’un mécanisme de retrait rapide (notice and take down),
Procédure de désindexation rapide via Google ou moteurs.
VI. Cas particuliers : OnlyFans, Deepfake, Intelligence artificielle
1. Plates-formes participatives à contenu sexuel
Les contenus sont publiés par les utilisateurs,
Les plateformes doivent a minima modérer les publications illicites,
La présence de mineurs ou de deepfakes non déclarés est un risque pénal majeur.
2. Pornographie générée par IA (deepfake)
L’utilisation d’un visage réel sur un corps fictif à des fins sexuelles peut être qualifiée :
De diffusion non consentie d’image sexuelle (si identifiable),
D’atteinte à la vie privée,
De harcèlement sexuel.
La jurisprudence est en cours de formation, mais plusieurs affaires sont en cours en 2024 à Paris et Marseille.
VII. Vers une régulation renforcée
1. Digital Services Act (DSA)
Le DSA impose :
La mise en place de systèmes de modération,
Une traçabilité des signalements,
Des audits indépendants pour les très grandes plateformes.
2. Coopération judiciaire transfrontalière
Mandats européens,
Convention de Budapest (cybercriminalité),
Coopération renforcée entre ARCOM, CNIL, Europol, Parquet de Paris.
Voir aussi : réglementation des sites pornographiques