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Le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 31 mai 2021 n°11-19-007483 illustre les questions de droit international privé confronté au droit des grands et petits litiges, qui peuvent se poser quand un entrepreneur ou un (prétendu) consommateur français décide d’attraire devant la juridiction française un entrepreneur étranger domicilié dans un Etat membre de l’Union européenne.

Voir aussi : les chambres de commerce internationales : https://roquefeuil.avocat.fr/international-arbitration-international-commercial-chambers-of-paris/

Quel est l’impact de la qualité de consommateur ?

Le consommateur français qui s’estime lésé par un défaut de conformité d’un produit qu’il a commandé à distance auprès d’un fournisseur étranger peut attraire ledit fournisseur devant la juridiction française et revendiquer l’application du droit français de la consommation.

Trois types de questions de droit international privé se posent :

Est-on réellement en présence d’un consommateur, supposé « partie faible » et méritant l’application de règles dérogatoires et protectrices ? Quelles sont les conséquences de cette qualification au plan procédural ?

Quelle est la juridiction réellement compétente territorialement et en fonction du taux de la demande ? L’appel est-il ouvert ? Une tentative de conciliation préalable est-elle nécessaire ?

Quel est le droit applicable ? A cet égard le droit de la consommation français, est-il applicable ? Dans quelle mesure ?

En l’espèce, le demandeur se présentait comme un consommateur, et formait une demande d’indemnisation de 4000 euros, ce qui lui permettait de saisir la juridiction

– par déclaration au greffe (d’avant réforme de 2020) ;

– sans constituer avocat, dans le cadre d’une procédure orale ;

– de soustraire la décision à la possibilité d’appel ; cette impossibilité d’appel doit inciter le défendeur à la plus grande vigilance devant une juridiction dont l’organe compétent, la chambre dite de « proximité » ou le juge des « contentieux de la protection », porte une attention particulière à la partie faible ;

– et l’obligeait à une conciliation préalable (d’avant réforme de 2020) ;

La récente réforme de procédure civile réplique à peu de choses près ces règles de seuil et de taux (en savoir plus : https://roquefeuil.avocat.fr/reforme-de-la-procedure-civile-le/)

La qualité de consommateur doit être vérifiée au préalable.

Cette notion est variable d’un pays à l’autre, et en droit français le critère selon lequel un consommateur ne peut être qu’une personne physique (critère qui paraît être le critère minimum commun à tous les Etats membres de l’UE et qui paraît repris à l’article L217-3, et dans l’article liminaire, du code de la consommation) semble insuffisant pour exclure les personnes morales des régimes de protection dus au consommateur : le tribunal a ainsi vérifié  que l’entreprise demandeuse avait bien une activité professionnelle et que son achat s’inscrivait bien dans cette activité.

Le droit français fait en effet référence à une notion intermédiaire, autre que celle de « consommateur », celle de « non-professionnel », qui attire aussi l’application des régimes protecteurs du droit de la consommation.

Toutefois, il peut être relevé que cette notion de “non-professionnel” est une notion française qui ne déclenche, selon les dispositions mêmes du code de la consommation, que certaines sections dudit code, et ne s’applique pas à la vente de marchandises et à la garantie de conformité telle que visée par ledit code. En effet, l’article L217-3 du code de la consommation fait référence à la seule qualité de « consommateur » et non à celle de « non-professionnel » :

« Les dispositions du présent chapitre [“obligation de conformité au contrat”] sont applicables aux relations contractuelles entre le vendeur agissant dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale et l’acheteur agissant en qualité de consommateur. »

 

Or le « consommateur » n’est pas à proprement parler un « non-professionnel ».

 

Ainsi l’article liminaire du code de la consommation distingue-t-il : « Pour l’application du présent code, on entend par : – consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; – non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ; – professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. »

 

Au niveau de l’Union Européenne, les DUE (Directive de l’Union Européenne) 2011-83 et 2019/771 et l’ensemble des directives reprenant la notion de consommateur (cf. par exemple directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, article 2) ne retiennent que la notion de consommateur selon laquelle le consommateur est une personne physique qui n’agit pas pour des fins professionnelles, libérales ou commerciales.

C’est cette définition qui est reprise dans l’article liminaire du code de la consommation français.

Le droit de l’Union ne connaît donc pas la notion de “non-professionnel” propre au droit français. En droit de l’Union, soit on est consommateur soit on ne l’est pas. Par conséquent la notion de « non-professionnel » est en principe inopposable à un ressortissant d’un autre Etat membre.

Par ailleurs si on peut concevoir que l’application du RUE (Règlement de l’Union Européenne) 1215/2012, article 7, permet la saisine du juge français dans les rapports entre ressortissants d’Etats membres, le RUE 593/2008, article 4, 1), a) prévoit bien l’application de la loi du lieu de résidence habituelle du vendeur, sauf le cas où un consommateur est impliqué (article 6)(auquel cas la loi du pays de résidence du consommateur serait applicable).

La question est d’intérêt car la garantie de conformité prévue à l’article L217-4 du code de la consommation ne joue qu’à l’égard des consommateurs, et prévoit une garantie de conformité plus poussée que celle prévue par le droit commun (1641 et 1642 du code civil ou convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises de 1980) :

Article L217-5 du code de la consommation :« Le bien est conforme au contrat : 1° S’il est propre à l’usage habituellement attendu d’un bien semblable et, le cas échéant : – s’il correspond à la description donnée par le vendeur et possède les qualités que celui-ci a présentées à l’acheteur sous forme d’échantillon ou de modèle ; – s’il présente les qualités qu’un acheteur peut légitimement attendre eu égard aux déclarations publiques faites par le vendeur, par le producteur ou par son représentant, notamment dans la publicité ou l’étiquetage ; 2° Ou s’il présente les caractéristiques définies d’un commun accord par les parties ou est propre à tout usage spécial recherché par l’acheteur, porté à la connaissance du vendeur et que ce dernier a accepté. »

Article L217-8 du code de la consommation : « L’acheteur est en droit d’exiger la conformité du bien au contrat. Il ne peut cependant contester la conformité en invoquant un défaut qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer lorsqu’il a contracté. Il en va de même lorsque le défaut a son origine dans les matériaux qu’il a lui-même fournis. »

En droit de l’Union, c’est le règlement « Rome I » 593/2008 qui s’applique aux rapports commerciaux pour déterminer la loi applicable, et qui désigne, sauf exceptions, la loi du pays du vendeur. La convention internationale de Vienne sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 peut aussi être sollicitée.

 

 

Notion de consommateur

Dans CJUE 9 mars 2023, aff. C-177/22, la Cour de justice affine la distinction entre le consommateur et le professionnel, à propos d’une vente d’un véhicule automobile conclue entre un acheteur personne physique, domicilié en Autriche, et un vendeur, personne morale de droit allemand.

Le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en
matière civile et commerciale énonce, par ses articles 17 à 19, des règles de compétence protectrices du consommateur, qui est défini comme la personne
qui conclut un contrat « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle ».

L’acheteur avait fait intervenir un concessionnaire automobile pour effectuer les recherches et contacter le vendeur, et ce
dernier avait rédigé un contrat mentionnant que l’acheteur était une société et qu’il s’agissait d’une opération entre professionnels, sans que ces mentions
ne soient contestées par l’acheteur. Le concessionnaire s’était à nouveau manifesté, en demandant au vendeur s’il était possible de mentionner le montant
de la TVA sur la facture déjà émise.

L’acheteur demanda la garantie du vendeur en faisant état de vices, et ce devant un juge autrichien dont la compétence fut discutée, l’acheteur invoquant sa qualité de consommateur pour fonder la saisine de son juge.

  •  « il convient de tenir compte des finalités actuelles ou futures poursuivies par la conclusion (du) contrat, indépendamment de la nature salariée ou indépendante de l’activité exercée par cette
    personne ». Une personne ayant conclu un contrat doit être qualifiée de consommateur si la conclusion de ce contrat ne relève pas de son activité professionnelle ou, en cas d’un contrat à double finalité, en partie
    professionnelle et en partie privée, si l’usage professionnel est négligeable dans le contexte de l’opération considérée dans sa globalité. La
    nature de l’activité professionnelle exercée par la personne qui invoque la qualité de consommateur n’est pas pertinente aux fins d’une telle qualification.
  • « il peut être tenu compte de l’impression créée par le comportement de cette personne dans le chef de son cocontractant, consistant notamment en une absence de réaction de la
    personne qui invoque la qualité de consommateur aux stipulations du contrat la désignant en tant qu’entrepreneuse, en la circonstance qu’elle a conclu ce
    contrat par le truchement d’un intermédiaire, exerçant des activités professionnelles dans le domaine dont relève ledit contrat, …

 

Hors droit de la consommation

En matière de contrat de fourniture de prestations intellectuelles au sein de l’Union européenne, le tribunal compétent est celui du lieu où les prestations ont été reçues (Règlement UE n°1215/2012 – Cour de cassation – Chambre commerciale 6 avril 2022 / n° 21-12.816) ; c’est le principe ; idem en ce qui concerne la livraison de biens, le RUE 593/2008, article 4, 1), a) prévoit l’application de principe de la loi du lieu de résidence habituelle du vendeur. Distinguer, donc, entre loi applicable et juridiction compétente.

Textes d’intérêt :

Ord. n° 2021-1734, 22 déc. 2021, transposant la directive 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 et relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs : JO 23 déc. 2021, texte n° 21 (contrats du commerce électronique et contrats portant sur des contenus numériques ou sur des services numériques)
 
 l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 « relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques » qui a transposé les directives 2019/770 et 2019/771 du 20 mai 2019 relatives, respectivement, à certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques et à certains aspects concernant les contrats de vente de biens
 
 loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 « visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France », (Renforcement de la lutte contre l’obsolescence programmée d’un produit, étendue à l’obsolescence logicielle )
 
 règlement européen du 20 juin 2019, dit « Platform to business » n° 2019/1150

Le RÈGLEMENT (UE) No 1215/2012 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, article 7 b) prévoit :

“Article 7 

Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre: 

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande; 

  1. b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

— pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées, 

— pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis; […]”

 

“Article 8 

Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite: 1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément; 2) s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente; 3) s’il s’agit d’une demande reconventionnelle qui dérive du contrat ou du fait sur lequel est fondée la demande originaire, devant la juridiction saisie de celle-ci; 4) en matière contractuelle, si l’action peut être jointe à une action en matière de droits réels immobiliers dirigée contre le même défendeur, devant la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé.

Ces dispositions permettent d’attraire le vendeur domicilié dans un autre Etat membre :

  • soit dans cet autre Etat membre
  • soit devant la juridiction du lieu de livraison ou du dommage
  • soit devant la juridiction compétente pour un autre défendeur, en cas de connexité évidente

 

Sur la qualité de maître de l’ouvrage revendiquée par un plaignant français (cas de malfaçons, de produits défectueux) : 

Le maître de l’ouvrage  – non consommateur – dispose-t-il d’une action directe contre le sous-traitant qui serait basé dans un autre Etat membre ?  C’est le droit national de cet autre Etat membre qu’il faudrait solliciter pour répondre à la question.

Le règlement de l’Union Européenne (RUE) 593/2008, article 4, 1), a) prévoit bien l’application de la loi du lieu de résidence habituelle du vendeur :

“Article 4 

Loi applicable à défaut de choix 1. À défaut de choix exercé conformément à l’article 3 et sans préjudice des articles 5 à 8, la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit: a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle; […]

Le règlement s’applique aux contrats conclus en Union Européenne, et son article 6 “Contrats de consommation” n’exclut pas lesdits contrats de son application, mais désigne comme loi applicable la loi du pays du consommateur : Encore faut-il qu’un “contrat de consommation” existe.

En matière de vente internationale de marchandises, la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (ci-après “CVIM” (Convention des Nations Unies sur les contrats de Vente internationale de  marchandises du 11 avril 1980), à laquelle la France est aussi partie, peut être sollicitée.

Aucune de ses dispositions ne prévoit une action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant.

En l’absence d’une disposition spécifique de la convention,  il ne peut y être découvert un quelconque droit d’action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant, qui n’a aucun rapport contractuel avec ledit maître.

Cette convention consacre expressément le principe de relativité des contrats, condamnant en principe les actions directes en responsabilité du sous-acquéreur contre le fabricant ou le vendeur initial. 

Une telle action devrait donc, sauf exception, être refusée sur le fondement de l’article 7 de la CVIM : 

Article 7 1) Pour l’interprétation de la présente Convention, il sera tenu compte de son caractère international et de la nécessité de promouvoir l’uniformité de son application ainsi que d’assurer le respect de la bonne foi dans le commerce international. 2) Les questions concernant les matières régies par la présente Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elle seront réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.

L’action directe est communément considérée comme une exception française.

Convention de droit matériel, la CVIM est applicable dans une cinquantaine d’États qui, pour la quasi unanimité ne connaissent pas l’action contractuelle directe dans les groupes de contrats.

Cette convention ne prévoit pas l’action directe, et le principe d’unité d’application du droit international consacré à son article 7,1), ne militent pas en faveur de la reconnaissance d’une telle action.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a pour sa part décidé que l’action directe exercée par le sous-acquéreur contre le fabricant doit être soumise à la loi désignée par la règle de conflit du for dans la mesure où cette action « relève des matières régies par la CVIM mais n’est pas expressément tranchée par elle », ni ne relève de l’un de ses principes généraux (Cass. com., 16 janv. 2019 : JDI 2019, n° 4, note E. Fohrer-Dedeurwaeder).

 

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