Arrêt sur la Contrefaçon d'une Bague par la Cour d'Appel de Paris

Extraits de l’arrêt concernant la protection des droits d’auteur et des dessins et modèles dans le secteur de la bijouterie.

Extraits

Décision de la Cour d'Appel de Paris

La Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e chambre, a rendu un arrêt le 12 janvier 2024 dans l’affaire n° 22/02206 opposant Provence Impor SAS et Les Mandataires SAS (intervenante volontaire, en qualité de mandataire judiciaire) aux Établissements Loubatier SAS, Cartier International AG et Société Cartier SAS. Cet arrêt confirme partiellement le jugement du Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre, 3e section, du 29 janvier 2021 (affaire n° 18/01466).

Sur le droit d’auteur et l’originalité de l’œuvre :

« [..] En effet, loin de se contenter de procéder à une simple description générale et objective du modèle de bague N4244700 en cause, les sociétés Cartier énumèrent les caractéristiques du bijou sur lequel des droits d’auteur sont revendiqués : bague en or blanc composée d’un anneau présentant deux brins rigides joints jusqu’au trois-quarts avant de se disjoindre en une boucle, dont la partie supérieure est mordue par une tête de panthère en or blanc, diamants, onyx et diamants et dont la partie inférieure est réunie par une barrette perpendiculaire légèrement plus large que la circonférence de la bague, la tête de la panthère étirée vers l’arrière comporte des oreilles en triangles pavées de diamants uniquement à l’extérieur, laissant apparaître une surface lisse et contrastante avec le reste du bijou, la pointe orientée vers l’extérieur du visage, des yeux, figurés par des pierres émeraudes taillés en amandes, la pointe orientée vers l’extérieur du visage, un museau figuré par une pierre d’onyx, taillée en triangle, la pointe orientée vers le bas du visage, des lignes fines en or blanc qui traversent le visage en triangles et font ainsi se rejoindre les yeux, oreilles et museau de la panthère ce qui, par le contraste créé avec la tête pavée de diamants, fait ressortir l’épure d’une tête moderne caractérisée par sa géométrie stricte et futuriste évoquant l’univers de l’origami. S’agissant des bracelets référencés N6700417 et N6700517, le premier étant en or gris pavé de diamants, émeraudes et onyx, le second en or jaune et moucheté, les sociétés Cartier énumèrent également les caractéristiques des bijoux sur lesquels des droits d’auteurs sont revendiqués : bracelet composé d’une longue double chaîne en or blanc ou en or jaune au maillage apparent rattachée à une extrémité à une tête de panthère stylisée et enserrée, à l’autre extrémité, par une barrette perpendiculaire pavée de diamants, créant ainsi un anneau souple que la tête de panthère mord dans sa gueule ; cette double chaîne et le maillage apparent évoque la souplesse de l’animal et offre au bracelet une fermeture originale, caractérisée par la boucle créée grâce à l’adjonction d’une barrette perpendiculaire à sa base et dont l’extrémité se place dans la bouche de l’animal, la tête de la panthère en or blanc pavée de diamants ou en or jaune moucheté est étirée vers l’arrière, présente des oreilles aplaties et fait presque corps avec la double chaîne rattachée à la tête de l’animal : l’impression qui s’en dégage est celle d’un animal parfaitement à l’affût et au corps fin, élancé souple et dynamique ; la tête de la panthère est également caractérisée par ses lignes épurées et modernes résolument minimalistes, géométriques et symétriques évoquant l’univers de l’origami dont : des oreilles en triangles pavées de diamants ou lisses en or jaune, la pointe orientée vers l’extérieur du visage ; des yeux, figurés par des pierres émeraudes taillés en amandes, la pointe orientée vers l’extérieur du visage ; un museau figuré par une pierre d’onyx, taillée en triangle, la pointe orientée vers le bas du visage ; des lignes fines en or blanc ou en or jaune qui traversent le visage en triangles et font se rejoindre les yeux, oreilles et museau de la panthère ce qui, par le contraste créé avec la tête pavée de diamants ou lisse en or jaune moucheté. Contrairement à ce que soutient la société Provence Impor, les sociétés Cartier ne recherchent pas à s’approprier le genre de la panthère mais font valoir que la combinaison des caractéristiques particulières des bijoux opposés ci-avant rappelées qui déterminent avec précision les contours de la protection demandée, en font des œuvres originales éligibles à la protection du droit d’auteur. Ces choix arbitraires et esthétiques même s’ils empruntent au style animalier et notamment au thème de la panthère qui a été utilisé par divers joaillers dont la maison Cartier depuis le début du 20ème siècle (pièces 24-1, 29 et 30 notamment), font que l’aspect global des œuvres constituées par les modèles de bague et de bracelets au style contemporain et épuré témoignant d’une volonté de présenter un félin au corps dynamique dont la tête est caractérisée par des traits parfaitement géométriques presque futuristes, prises dans la combinaison de chacun de leurs éléments, fussent-ils connus, portent l’empreinte de la personnalité de son auteur.[…]

Sur le droit des dessins et modèles :

[…] L’utilisateur averti à prendre en considération est le connaisseur des produits de bijouterie secteur particulier concerné par les modèles, étant rappelé que la notion d’utilisateur doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (CJUE C-, 20 oct. 2011, aff. C-281/10 P, PepsiCo, point 57).

Les dessins ou modèles communautaires de bracelet comme de collier produisent sur l’utilisateur averti précédemment défini une impression globale qui diffère de celle que produit sur un tel utilisateur les modèles invoqués par la société Provence Impor qui ont une apparence générale moins anguleuse que celle du modèle dont la nullité est sollicitée.

S’agissant de la contrefaçon du dessin ou modèle communautaire de bague (dessins n° 20.1 à 20.7), il ressort de la comparaison du dessin de bague déposé et de la bague objet de la saisie contrefaçon référencée 410944 (pièce 14 Cartier) que celles-ci ont en commun une tête de panthère stylisée étirée vers l’arrière, les oreilles de l’animal étant aplaties vers l’arrière, ses yeux en amandes étant également étirés vers l’arrière, le félin tenant dans sa gueule une boucle fermant l’anneau de la bague. Ces ressemblances sont suffisantes à caractériser la contrefaçon, le modèle de bague commercialisé par la société Provence Impor produisant sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble identique à celle du dessin ou modèle communautaire.[…]

Sur le préjudice :

[…] En conséquence, au vu des éléments dont dispose la cour prenant en considération les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits de la société Cartier International dont le manque à gagner en raison de la commercialisation des bagues contrefaisantes présentées comme des produits de luxe sur plus de quatre ans à moindre prix, le préjudice moral qu’elle a subi du fait de la banalisation et de la dépréciation du modèle en cause et les bénéfices réalisés par l’appelante qui comprennent les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels retirés de l’atteinte par la société Provence Impor, il sera alloué à la société Cartier International la somme totale et définitive de 40 000 euros de dommages et intérêts en indemnisation de son entier préjudice au titre de la contrefaçon de droit d’auteur et de 40 000 euros de dommages et intérêts en indemnisation de son entier préjudice au titre de la contrefaçon de dessin ou modèle communautaire.[…]

Sur la concurrence parasitaire :

[…] Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Il est démontré par les éléments fournis au débat par la société Société Cartier (pièces 1, 2, 19, 34 et 38 notamment) que la panthère est l’animal emblématique de la « maison Cartier » et de [P] [K] sa créatrice, ce joailler ne cessant d’interpréter la panthère sous différentes formes de bijoux depuis plusieurs décennies, la collection de bijoux « Panthère de Cartier » pour laquelle la société Société Cartier a investi massivement, 800 000 euros entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2017, pour en assurer la promotion (pièce 22) et a réalisé un chiffre d’affaire de 37 millions d’euros sur cette collection entre avril 2015 et mars 2017, constitue donc une valeur économique individualisée. Par conséquent c’est à juste titre que le tribunal a considéré qu’en reproduisant en 2017 une pièce de cette collection iconique pour la commercialiser, la société Provence Impor a cherché à se placer dans le sillage de la société Société Cartier et à profiter indûment des investissements réalisés et de la notoriété acquise par cette collection, ce quand bien même d’autres joaillers de renom commercialisent également des bijoux différents reprenant le thème de la panthère sur lequel la société Société Cartier ne revendique aucune exclusivité ni monopole.[…]

« La combinaison des caractéristiques particulières des bijoux opposés ci-avant rappelées qui déterminent avec précision les contours de la protection demandée, en font des œuvres originales éligibles à la protection du droit d'auteur. »

Cour d’appel de Paris

Implications de la Décision

Conséquences Juridiques pour l'Industrie de la Bijouterie

La décision de la Cour d’appel de Paris concernant la contrefaçon d’une bague met en lumière des aspects cruciaux du droit d’auteur et des droits des dessins et modèles dans le secteur de la bijouterie. En confirmant que les caractéristiques spécifiques des bijoux Cartier sont protégées par le droit d’auteur, la cour a réaffirmé l’importance de l’originalité et de la créativité dans la conception de bijoux. Cette décision souligne que les créations originales, même lorsqu’elles s’inspirent de thèmes communs comme celui de la panthère, peuvent bénéficier d’une protection juridique solide. Cela incite les créateurs de bijoux à investir dans des designs uniques et à protéger leurs œuvres contre la contrefaçon, renforçant ainsi l’innovation et la compétitivité dans l’industrie.

Impact sur la Concurrence Parasitique

Analyse de la Concurrence Déloyale dans le Marché de la Bijouterie

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a également des implications significatives pour la concurrence parasitaire dans le secteur de la bijouterie. En condamnant la société Provence Impor pour avoir indûment profité de la notoriété et des investissements de Cartier, la cour a envoyé un message clair contre les pratiques de concurrence déloyale. Le parasitisme, qui consiste à tirer profit des efforts et du savoir-faire d’un concurrent sans investissement propre, est désormais fermement sanctionné. Cette décision protège non seulement les créateurs de bijoux établis mais encourage également une concurrence plus équitable, où l’innovation et l’originalité sont récompensées. Les entreprises doivent donc être vigilantes et respecter les droits de propriété intellectuelle pour éviter des litiges coûteux et des sanctions sévères.

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